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lapetitefillequiaimaittroplesallumettesDifficile d'aborder le résumé de ce roman sans en gâcher le suspense. Il ne s'agit pourtant pas d'une intrigue policière. Personne ne se fait assassiner ou n'essaie de détruire le monde. Pas de journaliste prêt à mettre sa vie en péril pour couvrir un événement spectaculaire, pas même un exploit sportif ou politique. Non, il n'y a décidément rien de tout ça dans ce roman québécois. Seulement une narration.

Et quelle narration! Gaetan Soucy nous entraine dans un univers aussi original que déstabilisant et nous propose un langage neuf qui participe autant que les descriptions à créer une ambiance tout à fait particulière à ce roman. Au fil des pages, ce que le lecteur pense avoir acquis se détricotte, le récit se dérobe sous ses yeux et se reconstruit pour lui montrer une réalité bien différente. Soucy nous tient en haleine : pas question de sauter une page ou la moindre ligne, chaque mot nous offre son lot de surprise. Les péripéties de langage offrent au moins autant d'intérêt que les péripéties du récit. Et c'est un plaisir dérangeant, de ceux qui mettent mal à l'aise.

 

Gaetan Soucy nous dépeint une scène somme toute classique : un matin, un père veuf se pend, laissant seuls ses deux enfants adolescents. Un drame familial comme il y en a malheureusement souvent mais qui ne présage pourtant rien de palpitant lorsqu'il s'agit d'un roman. Mais l'un des enfants prend la plume et raconte avec ses yeux et (surtout) ses mots ce qu'il va se passer. Nous découvrons alors ébahis un univers déstabilisant de par sa misère sociale extrême. Car on comprend rapidement que les enfants n'ont jamais quitté la maison. Ils sont vêtus pauvrement, se nourrissent de leur production au jardin, ont appris une certaine vision de la religion et de la morale inculquée par leur tyran de père et ne connaissent rien des codes de la société. D'ailleurs, de quelle société s'agit-il? On les imagine dans des territoires presque vierges, coupés du monde, dans des temps reculés. Et puis, au hasard des rencontres, on croit deviner une moto au coin de la rue. Deviner car ils ne savent pas de quoi il s'agit alors ils décrivent avec leurs mots le chevalier casqué qui avance sur cette drôle de monture. Au fil des pages, l'univers que l'on s'était représenté s'effrite. Ils sont là, aujourd'hui. Sont-ils pauvres? Ils ne connaissent pas l'argent. Quel âge ont-ils? Ils n'en savent rien eux-mêmes. Ils n'ont même pas de prénom : leur père les appelait fils, c'est tout ce qu'ils savent. Ils nomment les choses comme cette brute le leur a appris : ainsi, tous les livres s'appellent dictionnaire, les enfants sont des bambins, anges dont les ailes sont tombées lors de leur dernière mue.

  gaetan-soucy

Le vocabulaire désarçonne, l'univers choque, le récit percute. Et les drames se succèdent. Petit-à-petit, on n'ose deviner l'explication du titre. Pourtant, la vérité pointe le bout de son nez. Mais non, ça serait trop horrible, trop fou. Alors on continue la lecture, mendiant un nouvel indice, ne croyant pas ce que l'on comprend pourtant.

L'art d'écrire est ici sublimé et l'expression prend tout son sens. Gaetan Soucy nous emporte dans son délire et nous laisse à la dernière page complètement vidés, abassourdis. Un livre fort et déconcertant, fruit d'une imagination déroutante.

 

 

Tag(s) : #A (re)lire
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